Mon livre sur les codes est, de tous ceux que j'ai écrits, celui qui m'a le plus étonné : il m'a conduit dans des lieux que je n'imaginais pas en entamant sa réalisation.

Le livre est né en automne 2004, dans une conversation avec Stuart Miller, qui était déjà l'éditeur de plusieurs de mes livres chez Barnes & Noble. En cherchant quel pourrait être notre prochain projet, il me suggéra de surfer sur la vague des codes, lancée par Dan Brown avec le Da Vinci Code et encore très porteuse. L'idée m'a immédiatement plu, d'autant qu'elle réveillait une vieille passion. Adolescent, après la lecture du Scarabée d'Or, j'avais recherché tout ce que je pouvais trouver sur les codes secrets et j'avais passé un bon nombre d'heures à la bibliothèque municipale de Tours à explorer ses deux ouvrages sur la cryptographie. Je n'y avais pas retouché depuis, sauf occasionnellement dans mes rubriques de Science et Vie, ou bien pour me joindre à la campagne de presse de la fin des années quatre-vingt-dix défendant le droit du citoyen français à un cryptage sérieux (Lionel Jospin, avant d'avoir, en 1999, la révélation que le monde numérique existe, souhaitait limiter nos clés à 40 bits contre les 128 d'une protection raisonnable. Les services qui continuent à ouvrir nos enveloppes de courriers à la vapeur rechignèrent, puis en furent quitte pour se munir d'ordinateurs plus puissants).

En bâtissant le sommaire, Stuart et moi comprîmes tout de suite que le livre déborderait du cadre des codes secrets traditionnels et le contrat porta le titre provisoire, qui se révéla définitif : Hidden Codes and Grand Designs (Codes Cachés et Desseins Grandioses). A la faveur d'un déjeuner avec l'agent littéraire de Dan Brown, Stuart apprit que son prochain livre serait situé à Washington et me suggéra de regarder du côté de la capitale pour voir s'il n'y ressortait pas des codes intéressants. Bien lui en prit car je découvris que Washington était truffé de codes et surtout qu'ils y avaient été semés par un Français dont je ne connaissais que vaguement l'existence : Pierre Charles L'Enfant. Je lui ouvris un dossier qui ne tarda pas à s'épaissir et m'amena à me plonger dans l'histoire de la guerre d'indépendance des Etats-Unis, jusqu'à ses derniers remous, absents de nos cours d'histoire, où les Anglais revinrent et brûlèrent la Maison Blanche.

Ensuite vint une situation exceptionnelle, qui se révéla très favorable pour mon travail : Barnes & Noble, qui avait essentiellement une activité de libraire et de réimpression de livres d'autres éditeurs vendus exclusivement dans ses propres librairies, décida d'exporter sa production de livres originaux dans sa filiale Sterling Publishing pour les distribuer également à l'extérieur. Géographiquement et pratiquement, cela signifiait que je quittais la cinquième avenue de Manhattan pour la sixième avenue (en fait près de Gramercy, mon quartier favori) mais plus précisément que Stuart était dessaisi et que je n'avais pas d'éditeur précis chez Sterling pour prendre le relais. Meredith Hale, mon éditrice finale, n'apparut qu'en janvier 2006. La situation m'avait offert un an de liberté sans contrainte, l'année 2005, dont j'avais abondamment profité pour chasser le code dans des directions imprévues. La bride sur le cou, j'avais fouillé autour de Pythagore et découvert une basilique souterraine à Rome, ouvert avec cinconspection le dossier des templiers et découvert la logique de leur code moral, appris avec étonnement l'existence de Villard Honnecourt, visité Hildegarde de Bingen dans ses visions et dans ses langages codés, repris langue avec Marcel Duchamp et Alan Turing, etc, etc.

Mon cas s'était même aggravé avec la collaboration de Mike Dickman. J'aime bien écrire en anglais mais ce n'est que ma seconde langue, je connais mes limites et j'avais obtenu qu'il me relise en permanence pour m'aider à rester dans le droit chemin. Fin lettré sud-africain, il a l'avantage de se tenir aussi loin des influences lourdes de l'anglais de Londres que de celui d'outre-Atlantique - pièges que ma culture de l'espionage anglais et du polar américain me tendaient irrésistiblement. Par contre, c'était compter sans la culture profonde de Mike, qui est en fait traducteur de sanskrit traditionnel, celui qu'on ne parle plus à Lhassa ou à Katmandou depuis quelques siècles, et les religions et la culture orientales n'ont pas de secret pour lui. Il ne m'a jamais rien imposé mais il m'a souvent signalé au passage que tel symbole ou tel code se trouvait aussi là-bas, chez les bouddhistes. L'aurais-je toujours suivi que le livre aurait fait 800 pages au lieu de 400. Mon champ de vision s'est élargi, j'ai inclus des références que je n'aurais jamais trouvées seul et surtout, j'ai fait un (léger) détour par la cabbale après m'être rendu compte que c'était la plus grande entreprise de programmation jamais entreprise - un demi-millénaire avant Turing.

Quand Meredith Hale se manifesta fin janvier 2006, j'étais en pleine boulimie de "data mining" - de défrichtage de données, dirait-on en Nouvelle-Ecosse. Heureusement Meredith était présente mais devait d'abord assurer sa propre organisation. Trop occupée pour commencer à me suivre, elle accepta que je travaille encore ainsi, à continuer à défrichter (un peu) et à rédiger (beaucoup) pendant le reste de l'année. Je poursuivis donc mon accumulation de textes, de codes et de documents graphiques. En novembre 2006, j'envoyai un ouvrage complet, mis en page et illustré, prêt à imprimer. Il ne restait plus qu'à l'éditer.

Las ! Je devais aussi suivre les méthodes redoutables des éditeurs new-yorkais, à la recherche - et à la rencontre - de la perfection. J'avais en fait encore un an et demi de travail devant moi. Après l'aide de plusieurs éditeurs et éditrices spécialisées dans le contenu, les illustrations et enfin la correction du texte (selon les sévères préceptes du Chicago Manual !), puis l'impression en Chine, le livre fut finalement en librairie en automne 2008 … pendant les élections présidentielles américaines.

Restait à publier le livre à Paris. Laurent Hallier a été immédiatement enthousiaste. Il m'a pris sur sa moto et m'a emmené rencontrer Michel Lafon, l'éditeur de son frère Jean-Edern, dans l'île de la Jatte. Grâce au dynamisme de Michel et de son équipe, en particulier de Laetitia Amar, la version française a vu le jour en neuf mois (tiens !) entre un premier déjeuner au bord de la Seine en juillet 2009 et le service de presse en avril 2010.

En l'été 2011, le livre a déjà intéressé plusieurs milliers de lecteurs et Le Seuil acquiert les droits de publication dans la collection de poche Le Point Seuil, où le livre paraît en 2013.

Enfin les codes se révèlent être une occasion de spectacles : je totalise 6 conférences dans les plus importantes villes de France : Paris, Tours, Le Perreux, Yzeures-sur-Creuse, Saint-Aigny, La Celle-Guenand et Paris à nouveau au Kafémath. Ah mais!

Retour